Après la naissance, Tiphaine, co-fondatrice de Sealune, développe une hémiparésie affectant la mobilité de sa main et de son pied droit. C’est avec les années et la maturité que Tiphaine entreprend de changer le regard sur elle-même pour accepter sa différence. Elle revient sur son parcours et sa vie à travers le handicap.
Quel a été le déclic qui a changé ton regard sur le handicap ?
Je n’ai pas eu de révélation à l’instant T, cela s’est fait plutôt progressivement. Je me suis toujours posée des questions par rapport à mon handicap mais rarement sur mon ressenti. Plutôt sur ce que pensent les autres. C’est en grandissant que j’ai compris que mon rapport au corps était plus complexe que ce que je laissais croire.
La relation avec mon mari m’a fait prendre conscience que j’étais assez dure avec moi-même, avec un regard plutôt négatif. Par exemple, il est encore impossible de me voir en vidéo. Même celle de mon mariage car j’ai peur de me voir, de voir ma différence physique. De regarder et dire: voilà c’est moi, je suis comme ça, mon handicap est ainsi. A ce moment là, oui je me suis dit qu’il était peut-être temps que je m’accepte. Que je m’aime comme je suis.
Quels étaient les différents regards sur ton handicap ? Négatifs ? Positifs ?
Un peu les deux. Sans se mentir, les enfants à l’école vont être durs avec la différence et je l’étais moi-même aussi, donc négatif à cette période. Mais en même temps, certaines personnes ne le voyaient pas ou l’acceptaient tout de suite. Un jour où je discutais d’une histoire amoureuse potentielle, c’est ma mère qui a pointé du doigt le handicap en demandant si cela pouvait être un frein pour l’autre personne. Je ne m’étais jamais posée la question, et je n’avais jamais envisagé cette différence comme un obstacle.
Et justement, comment, toi, tu vois ton handicap ?
Je pense que je me mens à moi-même. Au quotidien je ne le ressens pas. Je fais toutes les choses basiques car ayant cet handicap depuis très jeune, je me suis adaptée. Je ne me sens pas gênée, ou si c’est cas c’est lors de certaines périodes comme le changement de saisons. Avec les manches longues ou courtes, je vais adapter la position de ma main, pour la “ranger”. J’ai tendance à oublier mon handicap. Mais lorsque je pose vraiment le regard dessus, à travers une vidéo notamment, je ressens vraiment des sentiments contraires, avec plutôt du dégoût.
Penses-tu être influencée par le regard des autres ?
Oui, je pense que le regard des autres joue un rôle important. Dans mes relations amicales ou amoureuses il y a toujours ce moment fatidique où je me demande: a t-il ou a t-elle vu ma main paralysée? Ainsi que les questions des autres: mais pourquoi t’as ça? Mettre des mots sur le handicap, en parler, argumenter, ce n’est pas facile. Même avec les enfants, arrivés à un certain âge ils posent des questions, ils trouvent ça bizarre, drôle. Je peux ne pas y penser et me sentir gênée tout à coup car je dois l’expliquer. Je suis alors mal à l’aise car moi-même je ne l’accepte pas.
Un autre exemple du côté professionnel: lors d’un contrat 25H, l’entreprise voulait que je me fasse reconnaître comme travailleur handicapé. Cela a été une étape super difficile car je ne voulais pas. Handicap est comme un gros mot, quelque chose d’horrible, je ne me vois pas comme cela. Pourtant je pense que c’est moi seule qui ait cette vision et cette définition.
Penses-tu que la société ait un rôle dans tout ça ?
Totalement. Au final je me sens bien et pourtant tellement de choses autour de moi me mettent mal à l’aise. Au travail, on va me demander des tests supplémentaires. Alors que si je postule c’est que je sais que j’en suis capable. Lors des interactions sociales, les habitudes font que l’on se serre la main droite, ce que je ne peux pas faire. Pareil lorsqu’il faut applaudir lors d’un spectacle et que certains interprètent ma réaction comme du désintérêt. On ressent rapidement sa différence à travers la société quand on ne peut pas faire à 100% ce que les autres font.
Du coup, comment aimerais-tu te sentir ?
J’aimerais pouvoir faire des choses sans me dire, ici on va voir ma main paralysée. Passer de saison été à hiver sans réfléchir comment “ranger” ma main? J’aimerais pouvoir danser sans être alcoolisée, sans lumière tamisée, et me dire que ce n’est pas grave. Et surtout être capable de visionner des vidéos où ma main est visible sans penser: “mon Dieu je suis horrible”, juste à cause de cette zone là. J’aimerais me dire, c’est moi et je suis bien, je suis belle comme je suis sans adaptation ou justification.
Qu’est-ce qui pourrait faire que tu te sentes mieux dans la société ?
Tout d’abord je pense qu’il faudrait arrêter de rire de tous ces termes liés au handicap, par exemple celui de COTOREP*. C’est souvent un sujet de blagues et personnellement je ris toujours un peu jaune, car je pourrais être considérée comme COTOREP.
Ensuite je pense que le handicap n’est pas assez visible dans la société. Et surtout on ne montre pas assez la diversité du handicap. Lorsqu’on parle de handicap, on voit forcément le fauteuil roulant et l’on ne voit pas le diabète par exemple, ou ma paralysie partielle.
Lors de mon fameux 25h, un petit carnet sur le handicap fût distribué. Les illustrations n’étaient que des photos de personnes connaissant une personne handicapée mais jamais la personne handicapée elle-même ! A aucun moment, on ne parlait du ressenti des personnes concernées, leur vision étant totalement exclues.
Enfin il y a le regard et le sentiment de pitié à l’égard des handicapés. Je suis handicapée, c’est contraignant forcément, mais cela ne veut pas dire que je suis malheureuse dans ma vie. Malgré que cela soit compliqué, le handicap ne veut pas toujours dire malheur et désespoir.
Quelles sont les expériences qui t’ont aidée à avancer ?
C’est le fait de grandir et vieillir qui m’a fait comprendre pas mal de choses. Je disais souvent à mon corps de se taire pour continuer le quotidien. Maintenant j’ai conscience que je suis différente et que je dois faire les choses sur un autre rythme. Face à mon hémiparésie on a rallongé mon tendon d’Achille quand j’étais enfant. Dans ma tête, le problème était résolu alors que non, les symptômes sont juste réduits. J’ai réalisé que cette opération est vieillissante. Si je continue de courir par exemple et bien je vais droit dans le mur. Je ne dois pas oublier mon handicap, écouter mon corps et savoir dire stop. Le problème du handicap c’est que tu veux souvent prouver que tu peux le faire, que tu peux t’adapter. Mais parfois non, il faut savoir accepter cette situation et accepter son corps.
Où penses-tu en être dans cette acceptation ?
L’acceptation de mon handicap restera un parcours je pense. Il n’y aura pas d’instant, de déclic où je dirais, c’est bon j’ai tout appris et je m’accepte. Le fait d’avancer, d’apprendre, d’avoir de nouveaux projets mais aussi d’en parler rendra les choses de plus en plus facile. Jusque là, j’ai toujours un peu tût mes sentiments pour ne pas faire face mais c’est en discutant que l’on prend conscience des choses. En parler avec mes proches, mettre des mots sur ce que je ressens me permets d’avancer sur moi-même.
As-tu des modèles par rapport au handicap ou des sources d’inspirations ?
Des modèles par rapport au handicap, non car rien n’est très visible aujourd’hui. Par contre, comme je suis en pleine phase d’apprentissage de l’acceptation de soi, j’écoute des podcasts sur ce thème. Celui de “Cher corps” par exemple qui m’a vraiment fait écho car je me reconnaissais complètement dans certains témoignages.
Ensuite j’ai des modèles liés au féminisme comme Pénélope Bagieu et sa BD “Les culottées”, l’autrice Taous Merakchi alias Jack Parker. Les rédactrices du blog Madmoizelle, qui ont clairement agrandit le débat ou même les femmes qui ont parlé lors du mouvement social #MeToo.
Au final, je suis plus inspirée par mes amies féministes. Les personnes lambdas, du monde de tous les jours permettent de s’identifier plus facilement.
Et la suite c’est quoi ? Est-ce que tu as des projets professionnels ou personnels ?
Créer ! Mon parcours est un peu en demi-teinte car je n’ai jamais travaillé dans mon domaine d’activité. Bien que cela m’ait permis d’acquérir d’autres compétences, cela ne suffit pas. C’est cette sensation d’échec qui m’a fait aller vers un projet de création d’entreprise. Mettre mes rêves en lumière et le côté sécurité en stand-by car au final, on a qu’une vie dont il faut profiter. Côté perso, toujours créer mais créer la vie. Pas envisagé il y a quelques années, je ressens maintenant l’envie de fonder une famille.
Si tu jetais une bouteille à la mer, quel message laisserais-tu pour ton toi futur ou pour les prochaines générations ?
Ne pas avoir peur de sortir de sa zone de confort et se lancer. Ensuite pour les personnes comme moi mais aussi toutes les autres, s’accepter.
*COTOREP: abréviation de Commission Technique d’Orientation et de REclassement professionnelle. Aujourd’hui appelée CDAPH, c’est une institution qui favorise l’insertion professionnelle des personnes handicapées.
Merci pour ce beau portrait, et pour parler d’un sujet encore si peu mis en lumière dans les médias ! Bravo et plein d’amour ❤️
Merci pour ce retour chaleureux et bienveillant ! ❤️