Ombeline Iacazio, engagée avec l’architecture solidaire

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Avec l’envie de reconnecter les habitant.e.s à leur territoire, Ombeline prend le virage d’une architecture engagée et fonde avec cinq amis, l’association No.s Limit.es.

Quel a été le déclic ?

J’ai terminé mes études d’architecture à l’UCL de Tournai il y a plus d’an, et en septembre 2020, j’ai débuté en agence. Rentrer dans le monde actif est très enrichissant car on découvre toute l’envergure du métier par rapport aux études. Mais au bout de quelques mois, pour ma part j’ai ressenti une sorte de désillusion. À l’école, nous sommes beaucoup poussés vers le côté engagé de l’architecture avec l’écologie, le social… En agence, on y a peu accès. On se focalise plus sur la partie esthétique qu’écologique, pour répondre aux clients. Quelques amis ont fait le même constat que moi et en discutant nous nous sommes dit qu’il fallait agir. En attendant d’avoir l’expérience pour créer notre propre agence, pourquoi ne pas déjà réfléchir à un projet ?

À la base nous souhaitions créer un collectif d’architecture et c’est une adjointe de la mairie de Valenciennes qui nous a orienté vers l’association. Pour apporter de la structure au projet, telle une entreprise, mais à but non lucratif. C’est ainsi que l’association No.s Limit.es est née. Ce statut nous permet de rencontrer beaucoup de personnes et facilite l’entraide, l’échange et même les dons. Un autre point essentiel par rapport à notre domaine était l’envie de travailler avec l’espace public. Pour cela il faut être architecte HMONP, c’est-à-dire être habilité à la maîtrise d’œuvre et répondre ainsi aux offres et concours. Avec une association, l’échange entre partenaires, avec les mairies notamment, est différent. L’association nous ouvre des portes.

Quel est le projet derrière No.s Limit.es ?

No.s Limit.es est un projet d’architecture solidaire. Notre envie est de concevoir une structure qui soit modulable et mobile, que l’on pourrait installer de façon éphémère dans des espaces communs afin de créer du lien. Un lien spatial car selon le lieu, nous allons l’implanter de façon différente, grâce à nos connaissances. Un lien social, avec la structure comme point d’échanges entre différents acteurs qui souhaitent s’exprimer. Il ne s’agit pas juste de déposer la structure dans un lieu. Nous comptons organiser ces rencontres pour qu’elles soient les plus adéquates possibles et guider vers une vraie appropriation de la structure. Le but est d’utiliser la structure pour promouvoir des artistes, des artisans avec une installation comme une scène par exemple. Au fur et à mesure que le projet grandit, nous ressentons ce potentiel et l’envie du public d’utiliser la structure pour promouvoir un événement, des produits etc.

Comment avez-vous mis le projet en place ?

L’association fut lancée fin avril, avec une première phase de conception et nous avons démarré la construction un mois après. Notre objectif était de finir la structure pour un événement privé en juillet afin de pouvoir la tester d’abord. Un objectif assez intense car tous les membres de l’équipe travaillent donc nous ne pouvions avancer que le soir et le week-end. Ce fut une belle réussite avec le respect du timing, mais également la dimension sociale qui nous tient à cœur. En effet, toute la construction fut participative avec l’aide alternée d’une vingtaine de personnes. Majoritairement des amis car nous sommes au début de l’aventure mais du coup, l’ambiance était géniale. 

Nous favorisons la politique du zéro déchet, zéro dépense ainsi que le troc, la récupération et le partage. Ainsi la structure est essentiellement composée de bois que nous avons récupérés, via des appels sur notre page facebook. Pas mal de personnes ont été réceptives dont une, Véronique, qui a mis à disposition sa grange avec des matériaux non valorisés. Grâce à elle, nous avons pu créer les trente premiers modules qui composent la structure, que nous avons baptisé le Plan Cube.

En effet, nous sommes partis du cube de 40x40cm. Pourquoi cette dimension ? Car elle peut être une assise, assemblée c’est la hauteur d’une table, puis d’un mange-debout donc plutôt ergonomique. Nous aimions cet aspect de double échelle, celle d’un mobilier ou d’un bâtiment. Le Plan Cube pourrait devenir un sol, une toiture et prendre toute sa dimension architecturale. Nous produisons des cubes mais également des assemblages pour créer des modules comme un tetris. Notamment dans l’optique de produire moins de pièces, gagner du temps et optimiser le rangement. Car il faut pouvoir stocker tous ces modules.

Que signifie No.s Limit.es ?

C’est un nom à double sens, français et anglais. Nous parlons ainsi des limites personnelles, celles que l’on s’imposent à soi-même mais aussi celles imposées par la société. L’idée étant de les dépasser et donc de n’avoir aucune limite, “no limit” en anglais. Quelques limites accentuées avec le Covid sont par exemple l’isolement ou le non accès à l’espace public pendant un moment. Nous cherchons donc à les contrebalancer avec cette structure et accentuer l’échange. Pour l’anecdote, nous sommes également un peu tous “no limit” dans l’équipe, ce qui pourrait faire un peu “peur”. Lorsqu’un un membre a fait allusion à cette version de nos limites à nous, cela nous a tout de suite plu.

Peux-tu me parler de la collaboration avec Leroy Merlin ?

Lors de mes études, je faisais beaucoup de maquettes à la découpeuse laser. Le magasin Leroy Merlin de Valenciennes en possède une et m’y rendant assez souvent, je connaissais Floriane, la personne en charge. C’était presque ma deuxième maison pendant trois ans ! Passionnée par les maquettes, j’ai pu en réaliser une au sein de mon agence. Comme à mon habitude, j’ai retrouvé Floriane à la découpeuse. Nous discutons de l’association, elle me dit que l’équipe cherche justement des idées pour animer le sas d’entrée du magasin. Nous étions au printemps, ravis, mais focalisés sur notre deadline.

En effet, nous bossions comme des fous sur la structure pour l’événement privé. D’ailleurs, la veille, la structure est quasiment prête et je fais un dernier saut chez Leroy Merlin. Je croise Floriane qui me dit que sa responsable est présente, et qu’elle aimerait discuter du projet. J’étais en tenue de bricolage, pas du tout prête, exténuée mais je me suis dit qu’il ne fallait pas rater l’occasion ! L’entretien se passe très bien, et une nouvelle rencontre est prévue. Le soir nous avons tous sauté de joie ! La suite s’est très bien passée car nous partageons les mêmes valeurs avec la marque. Notamment le Do It Yourself, ou l’aspect écologique vers lequel celle-ci se tourne. L’enseigne organise beaucoup d’ateliers donc le côté participatif leur tient à cœur. Cela tombe bien, car nous ne voulons pas seulement installer la structure dans le sas comme élément de décoration. Nous cherchons à créer de l’échange et des événements avec le Plan Cube, et Leroy Merlin est complètement d’accord. C’est une collaboration vraiment enrichissante avec beaucoup de possibilités pour eux comme pour nous.

Dans ce sens, nous avons ouvert un casting pour rencontrer des acteurs de tous les horizons et créer des événements. Le casting est ouvert à tous, particuliers, marques, groupes de musique, artistes, associations…

Que préfères-tu dans ce projet ?

C’est difficile parce que j’aime tout ! L’association me permet de partager encore plus avec mes amis qui sont les membres. Il resserre les liens avec ceux de passage qui souhaitent aider et en tisse de nouveaux avec les rencontres que nous faisons au fur et à mesure. Le côté construction est forcément génial, cet aspect de faire soi-même est très gratifiant. En tant qu’architecte, tu conçois les plans sur l’ordinateur, tu dessines mais tu ne construis pas à la fin. J’adore cette dernière étape où l’idée se matérialise.

Quel est le regard des autres ?

Mes proches n’ont pas été étonnés, parce que l’aspect social et engagé a toujours fait partie de moi. Par rapport à l’association en général, les gens ont tout de suite été réceptifs. Personnellement, je ne m’attendais pas à autant de bienveillance. Au départ, beaucoup de proches nous soutenaient alors c’était difficile d’être objectif. Avec Leroy Merlin on se rend compte des bienfaits du projet. Même si les gens ne participent pas aux concours ou un atelier lorsqu’il passe le sas d’entrée, beaucoup s’arrêtent pour discuter. C’est très plaisant, les retours sont très positifs et cela ne fait que nous encourager.

Que retires-tu de cette expérience ?

C’est un peu cliché mais ce projet m’apporte beaucoup d’épanouissement. J’ai moins de vie sociale “classique” avec des sorties car dès que je rentre de l’agence, je m’occupe de l’association. D’ailleurs pour moi, ce n’est pas un travail, juste du plaisir. C’est un projet très motivant, qui donne de l’énergie. Je retrouve une autre forme de sociabilité car je rencontre énormément de gens, et cela j’adore. C’est incroyable le pouvoir du réseau, et comment en rencontrant une seule personne on peut arriver à tisser des liens et aller vers d’autres échanges. Je n’imaginais pas du tout une collaboration avec une enseigne de bricolage et pas si rapidement par exemple.

Et la suite c’est quoi ? Est-ce que tu as des projets pros ? Des projets persos ?

Tout d’abord notre histoire avec Leroy Merlin va durer quelques mois, donc nous allons nous focaliser dessus jusqu’au début de l’année prochaine. Ensuite, nous avons eu pas mal d’appels d’entreprise qui souhaitent que nous mettions la structure à disposition pour des inaugurations, des soirées… Nous ne nous attendions pas à cela, c’est plutôt amusant et nous allons devoir nous adapter.

Mais voilà, notre idée originelle était de placer notre structure dans l’espace public. Nous ne perdons pas de vue cet objectif et je pense que le partenariat actuel amènera de la visibilité. Cela nous permettra de gagner en crédibilité auprès de la ville, ses citoyens et la mairie. Nous avons choisi Valenciennes car nous apprécions l’échelle de la ville, très propice à ce type de projet, familiale et chaleureuse. Je pense que dans une plus grosse ville, le projet aurait moins d’impact. De plus, nous sommes les seuls pour l’instant à y proposer de l’architecture solidaire.

Est ce que tu as des modèles ? Des sources d’inspiration ? 

Spontanément, je n’ai pas forcément de modèles. Via les réseaux, on peut voir de nombreux projets, vidéos et ressentir beaucoup d’élan, ce qui est très communicatif. Après, l’école en général nous pousse pas mal. Sur le moment, les études sont difficiles et l’on ne perçoit pas tout de suite les effets positifs mais en sortant, on en ressent tous les bénéfices. Un de mes professeurs, Olivier Camus m’a beaucoup poussé vers cette voie de l’architecture solidaire.

Si tu jetais une bouteille à la mer, quel message te laisserais-tu pour ton toi futur ou pour les prochaines générations ?

Je dirais qu’il faut essayer de ne pas se mettre de limites, les limites sont souvent dans la tête. Il ne faut pas avoir peur de les dépasser, car ce qu’il se passe derrière est souvent très beau.

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