Sans orientation précise, Fanny Monstier entame des études de psychologie, puis de littérature avant de se tourner vers la communication. Après quelques années en tant que community manager, elle aspire à une autre vie professionnelle. Végétarienne, féministe convaincue et écolo, elle désire se reconnecter à ses valeurs personnelles. Chose faite avec l’ouverture de Circé, un café sorcières.
Quel a été ton point de départ ? Ton déclic ?
Même si j’ai adoré le côté hyper évolutif de mon métier, au bout d’un moment je me suis posé beaucoup de questions. Comme pas mal de trentenaires, je me suis demandé : ” Mais que fais-je de ma vie ? La communication a-t-elle vraiment un sens ? Est-ce que je fais quelque chose de positif dans mon quotidien ? “. En fait, ma vie professionnelle commençait à être totalement en dissonance avec mes convictions personnelles. Je travaillais beaucoup pour de grandes entreprises qui vendaient des choses absolument pas écologiques. Alors que j’étais devenue végétarienne par choix et que j’essayais de réduire mes déchets.
Donc dans un premier temps, j’ai commencé à chercher une façon de rendre mon quotidien professionnel plus engagé. Et puis l’idée d’ouvrir un café sorcière a soudain émergé. Au début, j’étais un peu perturbée car j’étais encore dans ce questionnement de changement de poste ou plutôt de métier. Mais progressivement je me suis rendue compte que mon cerveau avait tout simplement fait le lien entre mes centres d’intérêts, mes envies et ce qui me tenait particulièrement à cœur.
Pour moi les sorcières représentent la proximité à la nature et donc à l’écologie. Sans oublier la puissance féminine, de plus en plus abordée dans les milieux féministes. Passionnée de mythologie et de monde imaginaire depuis toute petite, j’avais cette envie de créer un lieu où l’on puisse rêver et sortir un peu de son quotidien. Ensuite, le côté gourmandise me parle énormément. D’autant plus depuis que je suis devenue végétarienne et intolérante au lactose. Aujourd’hui encore, il est difficile de trouver des endroits avec plus de choix qu’une salade verte à quinze euros ! Alors forcément proposer un lieu ouvert à tout type de régime alimentaire, vegan, sans lactose ou sans gluten, me semblait très important. Pour finir, j’ai travaillé dans un salon de thé pendant mes études donc c’est un milieu que je connaissais déjà.
En fait, tous les fils de ma vie, que je pensais complètement disjoints, se rejoignent dans ce projet. Il a tellement de sens pour moi. Bien sûr, j’ai mis du temps à prendre ma décision et à savoir concrètement comment je voulais mettre les choses en place. Une reconversion ne se fait pas du jour au lendemain. Mais en novembre 2019, soit quatre mois après mon déclic, j’ai demandé ma rupture conventionnelle. En février 2020, je me suis lancée dans l’écriture de ce projet. Et en juillet 2021, Circé a ouvert ses portes.
Pourquoi Circé?
Parce que je voulais un nom de sorcière, sans qu’il soit trop évident. Qu’on perçoive la petite référence sans qu’on la comprenne immédiatement. Beaucoup de personnes m’ont proposé Hermione mais je n’avais pas envie d’être associée à Harry Potter. Surtout que l’autrice a choisi d’être ouvertement transphobe. Bonjour l’enfance brisée !
Comme je suis passionnée de mythologie gréco-romaine, j’avais plutôt envie d’une référence classique. Or début 2020, j’ai lu “Circé” de Madeline Miller que j’ai trouvé incroyable. Un magnifique portrait de femme puissante et complexe. Ni héroïne, ni anti-héroïne, une vraie personne. Je me suis dit, évidemment ! Circé, la première sorcière ! Un retour aux sources pour moi qui en a découvert tant d’autres par la suite. En plus, ce nom sonne bien et il est facile à prononcer.
Quel est le concept de ce café sorcières ?
Le concept se découpe en trois parties. D’abord la partie salon de thé avec les boissons, les pâtisseries et la petite restauration salée le midi. Avec cette particularité d’un menu vegan et avec des options sans gluten. Ensuite, il y a la partie boutique qui met en avant des créateurs locaux, engagés et proposant des produits sur le thème des sorcières au sens large. Enfin, il y a la partie événementielle qui commence à se mettre en place. Avec des soirées jeux de société féministe, des cercles de femmes, des célébrations de fêtes païennes telles que Sahmain ou encore des cours de yoga.
Je trouve cela génial d’avoir autant de parcours de jeux différents. Le but est d’explorer toutes les facettes de ce que cela signifie d’être sorcière.
Pour toi c’est quoi la sorcellerie moderne ?
Cela peut être tellement de choses ! Je pense que la sorcellerie est très personnelle. D’ailleurs le terme moderne renvoie au fait qu’on puisse l’adapter à ses connaissances, ses croyances ou ses pratiques de prédilection. L’idée est de piocher dans ce qui existe déjà. Moi, par exemple, je préfère utiliser les cartes de tarot. Certaines se tournent plus vers l’astrologie, les pendules ou la célébration de toutes les fêtes. D’autres encore s’orientent davantage vers la spiritualité ou la connexion avec la Terre. Mais tout est valable du moment que cela te permet d’entrer en contact avec ta vraie nature et de sentir ta puissance.
Le café sorcières est aussi un lieu qui favorise le partage, la découverte et l’enrichissement. Aucune pratique n’est mieux qu’une autre. Il n’y a pas de normes à respecter et c’est ce qui m’intéresse.
Sorcellerie et féminisme, quel est le lien ?
Le lien est hyper évident dans le sens où les femmes ont toujours été regardées avec suspicion. On sait aujourd’hui que la chasse aux sorcières a ciblé des femmes avec du pouvoir dans un monde patriarcal et régi par l’Eglise. Que ce soit les guérisseuses, les veuves sans désir de se remarier ou les propriétaires terriennes.
Et même si nous ne sommes plus au Moyen-Âge, il reste encore beaucoup de combats à mener. Il faut montrer que l’on a du pouvoir, de la colère et l’envie de prendre sa place. Les sorcières sont donc plus que nécessaires. Prendre conscience de sa puissance intérieure est fondamental. Je dirais même que c’est un enjeu politique parce que la spiritualité permet aussi de se libérer du poids du patriarcat.
La sororité et la sorcellerie sont également très liées. Il y a toujours eu des sociétés secrètes offrant aux hommes la possibilité de partager en coulisses leur savoir et leur pouvoir. Et quelque part, les sorcières fonctionnent sur le même mécanisme. On a le même langage un peu secret, on partage les mêmes choses et on s’entraide pour devenir plus fortes.
Comment te sens-tu maintenant ?
Très joyeuse ! Concrètement, le projet a mis deux ans à voir le jour. Ce temps de préparation était utile mais parfois très long parce que j’avais la sensation de travailler dans le “vide“. Alors c’est libérateur de pouvoir enfin offrir cette expérience. Je suis aussi très fière d’avoir réussi à faire tout ce que je voulais.
Bien sûr c’est difficile au quotidien puisqu’un salon de thé implique beaucoup de travail. Les horaires de bureau sont loin derrière moi. Mais cela vaut vraiment le coup car le retour des personnes est extrêmement gratifiant. Elles s’intéressent aux futurs projets et me laissent des petits mots adorables. Quand je lis qu’elles se sentent comme chez elles ou dans un cocon, j’oublie tout le reste.
Qu’est ce que tu retiens de cette expérience de création d’entreprise ?
La patience. Alors que je suis de nature impatiente, j’ai vraiment fait des pas de géant dans ce domaine. Notamment parce que je n’ai pas eu le choix. Merci la Covid. Le premier confinement, j’ai pu travailler sur mon business plan. Mais le deuxième, j’avais déjà fini et donc j’ai dû attendre…
La deuxième chose importante, que j’essaye de me rappeler régulièrement, c’est qu’il est impossible de tout faire seul.e. Ce n’était pas facile pour moi de le reconnaître car je suis très indépendante avec un petit côté fierté mal placée. Alors qu’avec un projet d’une telle ampleur, demander de l’aide est vraiment important. Surtout que les autres apportent leur sensibilité, leurs idées et leur présence. Je pense qu’en tant que créateur ou artiste, on a besoin de cette “nourriture” extérieure. En plus, tout le monde a des talents, connus ou cachés. Par exemple, j’ai demandé à un ami doué en blindtest de me créer les playlists du salon. Il était super content car cela lui permettait de s’impliquer à sa manière dans le projet.
Quel était le regard des autres par rapport à ton projet ?
Il a beaucoup changé avec le temps. Au début, le café sorcières leur semblait totalement abstrait et trop éloigné de la communication. Ce qui était d’ailleurs tout à fait normal puisque moi-même je n’avais pas une vision aboutie du projet.
Après j’ai eu la chance d’être soutenue et comprise par mon copain, mes parents, mon frère et mes ami.e.s les plus proches. Comme ils me connaissaient parfaitement, ils savaient que ce projet avait du sens. Pour l’anecdote, le jour où j’ai eu l’idée du café sorcières, j’en ai parlé avec mon copain qui m’a répondu ” c’est une super idée “. Ce soutien est primordial car si tu n’es pas entourée, c’est vraiment difficile d’entreprendre.
Cependant, les personnes qui ne comprenaient pas mon projet m’ont poussée à bien travailler mon argumentation et mon concept. Leurs remarques étaient agaçantes sur le moment mais elles ont aussi contribué à ma réussite.
Est ce que tu as des modèles ? Des sources d’inspiration ?
Je n’ai pas vraiment de modèles à proprement parler car personne n’est parfait. En revanche ce qui m’inspire, ce sont certains aspects de la personnalité de mes proches. Dans mon cercle amical, j’ai beaucoup d’entrepreneuses dont Marianne qui a fondé la boutique les Djadjas dans le Vieux-Lille. J’admire son énergie sans fond et le fait qu’elle a été l’une des premières à se lancer.
Je puise aussi ma force dans des personnes qui font avancer les choses telle que l’autrice Mona Chollet ou Victoire Tuaillon du podcast ” Les Couilles sur la table “. Sans oublier les femmes historiques puissantes comme Élisabeth Ire ou Aliénor d’Aquitaine.
Et la suite c’est quoi ? Est-ce que tu as des projets pro ? Des projets persos ?
Je suis encore en phase de lancement donc je me concentre sur le café et tout ce qui reste à mettre en place. Sinon, du côté perso, je suis très active. J’ai une chaine Youtube et Twitch, je participe à un podcast…En ce moment, cette partie est un peu délaissée mais j’espère pouvoir m’y remettre prochainement. La création me tient particulièrement à cœur. J’adore écrire les vidéos de ma chaine “Les Nerds à Vif ” où je parle avec Donatien, mon acolyte, de cosplay ou de romans fantasys.
Si tu jetais une bouteille à la mer, quel message te laisserais-tu pour ton toi futur ou pour les prochaines générations ?
C’est compliqué comme question car j’ai du mal à me projeter dans l’avenir. Mais pour les prochaines générations j’aurais envie de transmettre de l’énergie positive pour les combats qui restent à mener.
Retrouvez Circé au 4 rue Jean Sans Peur à Lille